Musique
et société
www.cybermusique.com - 26
janvier 1998
L'avènement en ce siècle des techniques
de production, de reproduction et de diffusion de la musique, que ce
soit la radio, la bande magnétique, la télévision,
le disque et, plus récemment, le CD, le DAT, l'Internet et le
multimédia, a complètement bouleversé la place
et le rôle de la musique dans l'ensemble des sociétés
humaines. Jusqu'au siècle dernier, pour entendre la musique,
il fallait se déplacer et se rendre au lieu où elle était
présentée (salles de concert, fêtes publiques, etc.).
La musique à cette époque n'avait aucunement l'omniprésence
parfois envahissante qu'on lui connaît aujourd'hui. Par ailleurs,
les types de musique variaient d'une couche de la société
à l'autre. L'aristocratie et la bourgeoisie bénéficiaient
de ce qu'ils considéraient être la grande et vraie musique,
dite classique, alors que les autres classes n'avaient principalement
droit qu'aux musiques locales folkloriques et populaires.
Aujourd'hui, le contexte musical est à l'antipode de la situation
d'avant l'avènement des nouvelles technologies de reproduction
de la musique. D'une part, toute personne, indépendamment de
sa souche sociale, a la possibilité d'écouter et d'apprendre
toute musique quelle qu'elle soit. Il n'est pas rare de voir dans la
collection de disques d'un mélomane tant du rock, du blues, du
jazz, de la musique ethnique diverse que du classique. D'autre part,
une jeune issue d'un ghetto est autant en mesure de devenir une prima
donna de l'opéra italien que le fils d'un riche aristocrate de
devenir une star du rock. La souche sociale dont nous sommes issue n'est
pas nécessairement indicative du type de musique que nous écoutons,
malgré que cette situation est encore présente. Par exemple,
les jeunes de ghettos écoutent un type de musique significatif
de leur situation sociale et s'intéressent très peu à
d'autres types de musique. Toutefois, dans l'ensemble, nous pouvons
remarquer que nous assistons à une démocratisation de
la musique où tout un chacun peut écouter et apprécier
tout type de musique quel qu'il soit.
Cette démocratisation n'est pas des plus transparentes et complètes.
Le legs des siècles derniers, c'est-à-dire que la musique
classique est Art et les musiques populaires et folkloriques ne le sont
aucunement, se fait encore sentir. Les milieux universitaires et scientifiques
appuient plus aisément la musique classique que tout autre type
de musique (heureusement beaucoup moins dans les milieux politiques
et du subventionnement des arts). Par exemple, la plupart des études
faites en psychologie, encognition et en musicologie optent presqu'uniquement
pour la musique classique. Ces études ne considèrent point
qu'il puisse y avoir potentiellement des différences cognitives
et psychologiques dans l'écoute d'autres types de musique, qu'elle
soit populaire ou ethnique. On tente d'établir des théories
prétendument universelles sur l'écoute de la musique à
partir d'un type de musique unique et, de surcroît, typiquement
occidental.
Après la 2e Grande guerre mondiale, une nouvelle discipline scientifique
est apparue : l'ethnomusicologie. À cette époque elle
considérait les musiques non occidentales sur la base de principes
typiquement occidentaux; on cherchait les universaux en musique, mais
à partir des universaux occidentaux. Heureusement, l'ethnomusicologie
est sortie de ce carcan. Toutefois, il reste encore beaucoup à
faire, surtout du côté des autres disciplines scientifiques,
pour aboutir à une compréhension globale et complète
de la perception de la musique où tout type de musique est considéré
sur un pied d'égalité, indépendamment de sa source
ethnique. En d'autres mots, un situation où l'on parle de la
musique sous toutes ses formes et non de «la» musique et
sous-entendre la musique occidentale.
En cette deuxième moitié du XXe siècle, la musique
nous envahit, nous accapare et nous bombarde de toute part. Du fait
que la musique est si omniprésente, nous la prenons pour acquis.
Plusieurs d'entre-nous ne font que la consommer du mieux qu'ils peuvent
sans comprendre trop bien ce qui se passe. Le but de la présente
chronique est de faire une mise en situation du phénomène
musical tel qu'il se présente en cette fin du XXe siècle
dans notre société moderne. Je soumettrai des questions,
des points de vue, des observations. Mon objectif ne sera pas tant de
soumettre des réponses fermes que de démontrer que la
situation est beaucoup plus complexe que nous pouvons être portées
à le croire et que la place et le rôle que la musique a
pris en cette fin de siècle sont beaucoup plus profonds et extrêmes
que nous pouvons le croire. Je ne prétends pas pouvoir cerner
l'ensemble du problème et d'y trouver réponses, loin de
là. J'espère toutefois présenter plusieurs aspects
de celui-ci qui permettront au lecteur de mieux se situer face au phénomène
musical tel qu'il se présente en cette fin de siècle,
ainsi que de mieux se situer face à ses goûts musicaux
(tant comme simple mélomane que musicien).
Mon approche sera sociologique, psychologique et bien sûr philosophique,
mais par-dessus tout anthropologique. L'anthropologie est l'étude
de l'homme dans son contexte social. Ordinairement, cela sous-entends
l'homme non occidental, comme si celui qui étudie ne peut être
étudié sur la base des méthodes qu'il a lui-même
établit pour étudier les autres. Dans les chroniques que
je vous propose, je ferai surtout une critique de l'esprit occidentale
face à la musique, tout en faisant appel à ce que des
sociétés non occidentales peuvent nous offrir et ce, dans
le but premier de nous aider à mieux approfondir notre compréhension
et notre appréciation de la musique.
Le médium électronique qu'est l'Internet
offre au lecteur ce que les publications régulières permettent
plus difficilement, soit la possibilité au lecteur d'émettre
leurs commentaires et opinions. Faites-moi parvenir vos commentaires,
suggestions de chronique et bien sûr vos critiques. Je verrai
comment il serait possible de les incorporer à mes chroniques
futures.
© 1998 Bruno Deschênes